Un polytechnicien sénégalais
aux commandes de Google Africa
Paru dans CIO Mag / Décembre 2012-Janvier 2013
Tidjane Deme, Responsable de Google pour l’Afrique francophone, est à l’origine du phénoménal développement sur le continent des outils et services du mastodonte du Web.
Si Google a tissé sa toile en Afrique et compte un si grand nombre d’utilisateurs, il le doit à Tidjane Deme. Le
Responsable de Google pour l’Afrique francophone, polytechnicien de formation et Sénégalais de son état, a accru la présence de l’opérateur sur le continent. Il a littéralement propulsé le moteur
de recherche - et tous les services connexes - sur le devant de la scène continentale. You Tube, Google Maps, Map Maker, Google Play ou encore Google Apps, les applications et autres
plateformes collaboratives de la multinationale californienne du Web sont massivement investies par les internautes d’Afrique subsaharienne.
En l’espace de seulement quelques années, des bureaux ont été ouverts à Nairobi au Kenya (2007), à Dakar (Sénégal),
Accra (Ghana), Lagos (Nigeria) et à Kampala (Ouganda), sans oublier l’Afrique du Sud qui a rejoint dès la première heure la communauté des utilisateurs de Google. Le continent s’approprie
graduellement les technologies du gestionnaire mondial d’informations.
Ressources communautaires
Avec 4 milliards de vidéos quotidiennement vues dans le monde, You Tube est un outil dont les professionnels africains –
créateurs et producteurs de contenus – se sont saisis. Des films nigérians y sont diffusés ; des artistes font leur promotion sur le site web d’hébergement de vidéos, et en juillet,
youtube.sn a été lancé au Sénégal. « Nous offrons la plateforme pour la diffusion en ligne de contenu avec la possibilité de générer des revenus
grâce à la publicité », souligne Tidjane Deme, précisant que les utilisateurs gardent le contrôle sur la diffusion de leurs vidéos via Content ID.
Tout ce qui concourt à la mutualisation des ressources communautaires est également favorisé. Google, qui a propulsé
Google Maps sur tout le continent, accompagne les communautés pour qu’elles construisent des applications avec Map Maker. L’opérateur travaille en étroite collaboration avec des ONG, telle que le
National Geographic Institute, lesquelles peuvent télécharger des photos satellites et ainsi cartographier des lieux.
La contribution au développement d’évènements et de plateformes collaboratives est de même intensité. Les Community
Support ont leurs aficionados, et l’organisation de Google Developper Days et des Google Days (G-Days) est désormais prise en charge localement par des startups qui profitent de cette opportunité
pour fédérer les potentialités du continent. Les derniers en dates, G|Senegal et G|Cote d'Ivoire, ont eu lieu en mai. Les développeurs et webmasters qui participent à ces conférences peuvent
échanger avec des ingénieurs du Ghana, du Nigéria ou d’Ouganda.
Ils communiquent aussi par le biais des BarCamps, qui sont sponsorisés par Google, à l’instar de Google Africa Blog. La
mobilisation des internautes est telle que d’autres évènements sont impulsés. « Nous organisons notre propre concours : le Google Apps
Developper Challenger, explique Tidjane Deme. C’est une plateforme collaborative qui a vocation à créer de nouvelles applications, parmi lesquelles un logiciel de comptabilité en ligne conçu
selon les normes de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) de
l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) ».
Développement de l’Internet
Plus encore qu’un fournisseur de contenu, Google s’attache au développement des technologies et des compétences. Il
intervient en appui à la formation des enseignants chercheurs et du personnel de l’université de Thiès au Sénégal. Il finance aussi des équipements et des infrastructures sur les campus.
« L’Afrique a un grand potentiel, mais il faut faciliter l’accès à Internet en en diminuant les coûts », confie Tidjane Deme qui ne ménage pas
ses efforts pour faire évoluer la situation. C’est à un véritable paidoyer en faveur de la démocratisation de l’outil Internet auquel il se livre, en travaillant de concert avec les autorités de
régulation et les opérateurs de télécommunication, tel que MTN, Orange, Safaricom ou encore Airtel. L’enjeu est de taille. Il en va de la réduction tarifaire du trafic vidéo. « Nous avons constaté que le coût supporté par les opérateurs était important », fait remarquer le directeur
général. Pour y remédier, Google fournit des serveurs de cache pour stocker les vidéos les plus regardées sur le continent. Il agit aussi en faveur du développement des réseaux nationaux de fibre
optique et sensibilise les états sur l’intérêt du passage à la 3G.
Un écosystème entrepreneurial
Le soutien à l’industrie de l’Internet en Afrique est au cœur de la stratégie du leader mondial du Web. Des partenariats
sont activés avec les universités, qui bénéficient notamment de l’accès gratuit aux fonctionnalités de Google Apps. Les entreprises peuvent aussi capitaliser sur ces ressources en utilisant les
logiciels cloud ou Web, ainsi que les comptes de messagerie Gmail for Business. « Nous voyons apparaître un écosystème entrepreneurial au Cameroun,
en Côte d’Ivoire et au Nigéria », constate-t-il.
Les solutions pour les smartphones sous Android, comme le gestionnaire de tâches Google Play, devenu Google Chrome
Webstore, ont aussi leur clientèle. « Vous pouvez avoir accès à des applications de divertissement comme Google Play Films, Pandora, Netflix, Kindle Cloud Reader, et à des
milliers de jeux, notamment Angry
Birds et Bastion pour les
consoles ». Seul bémol, ces gadgets sont l’apanage d’une élite. Le prix des terminaux d’accès - téléphones mobiles et ordinateurs - constitue une entrave à la démocratisation en Afrique
de ces outils de communication. Tidjane Deme appelle de ses vœux à la baisse du prix d’achat du matériel.
Afro-optimiste dans l’âme
« La stratégie des opérateurs est de vendre très cher à une élite, sans
essayer d’accroître les ventes en diminuant les prix. Je pense qu’on sous-estime les capacités des Africains à utiliser Internet. On ne pense pas qu’un paysan sénégalais peut disposer d’un kit
Bluetooth. Et pourtant, c’est le cas ! », lance cet afro-optimiste dans l’âme, qui a foi dans le capital humain de son continent. Il en est du reste la plus emblématique
illustration.
Issu de la communauté peule sénégalaise, Tidjane Deme cumule brillamment savoir et savoir-faire. Originaire du village
sahélien de Saloum, il a passé son enfance dans le quartier populaire de la Médina à Dakar, et a effectué sa scolarité au lycée Delafosse, avant de s’envoler pour la France acquérir son titre de
polytechnicien à l’Ecole nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA Paris). Il dispose en sus d’un diplôme obtenu à Londres. Au plan professionnel, il n’en est pas moins actif. Ce féru de
nouvelles technologies a créé une entreprise au Sénégal et a poursuivi sa carrière aux Etats-Unis, au siège de Google dans la Silicon Valley. Il n’est donc pas étonnant que ce virtuose de la
toile surfe avec autant d’aisance sur la vague de l’Internet en Afrique.