Forum Eurafric 2011
Accroître la compétitivité du secteur eau et énergie
Paru dans African Business – Décembre 2011-Janvier 2012
Etablir des liens entre les acteurs africains positionnés sur les secteurs de l’eau et de l’énergie et leurs homologues européens, c’est l’objectif que s’est fixé l’Agence de développement des entreprises en Afrique (Adea).
Pour Abdoulaye Kanté, organisateur du Forum Eurafric, l’accès à l’eau et à l’énergie sur le continent est la priorité. Ces ressources constituent le préalable à tout développement, mais seulement un Africain sur trois y a accès. C’est pourquoi, il réunit les bailleurs de fonds internationaux, les décideurs politiques, des experts et des entreprises spécialisées, dans le but de favoriser le transfert technologique de l’Europe vers l’Afrique, et d’améliorer la compétitivité des entreprises.
Cette année, la onzième édition a été placée sous le signe du solaire. Le projet phare est WecAfrica, un cluster dédié à la recherche, l’innovation et la production d’énergies renouvelables, principalement axé sur l’énergie solaire. « L’objectif est double. Il consiste à renforcer les capacités en matière de production d’énergies renouvelables dans les pays d’Afrique en leur permettant de satisfaire 90% de leurs besoins, à l’horizon 2025, et à réduire le coût de réalisation des projets», précise Abdoulaye Kanté. Il escompte la création, d’ici à 2015, du pôle Africa Sun Valley à Bamako, avant une prochaine étape à Brazzaville, dans les années à venir.
Sur un espace de 10 hectares, à proximité de l’aéroport de Bamako, les contours du futur pôle de compétitivité se configurent, à la faveur du soutien du Mali qui fournit le terrain et pilote le comité technique. Le Congo est également partie prenante de l’opération. Bruno Jean-Richard Itoua, ministre de l’Energie et de l’Hydraulique de ce pays, prend la présidence de WecAfrica. Pour concrétiser le projet qui se chiffre à 27 millions d’euros et créer cette première zone d’activité dans la capitale malienne, des financements sont requis. Sur ce volet, la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) assure de son intérêt pour ce programme solaire. Bassary Touré, vice-président, précise que l’institution financière pourrait s’engager aux côtés de partenaires des secteurs publics et privés. Il précise d’ailleurs que la BOAD est partie prenante d’autres pôles de compétence. Elle finance celui dédié aux biotechnologies et aux TIC à Grand-Bassam en Côte d’Ivoire, et encourage la création dans la sous-région d’autres technopoles. Bassary Touré réfère dans ce domaine à l’expertise dans les métiers de l’eau acquise par Ouagadougou, et à la capacité de Niamey à se positionner sur le nucléaire.
Jean-Paul Joulia, chef d’unité énergie Europaid à la Commission européenne, convient pour sa part qu’il existe des solutions pour financer le projet de technopole solaire, tels que des prêts à long terme qui permettent d’étaler les dépenses, ou encore l’établissement de partenariats industriels. Il précise d’ailleurs que l’Union européenne (UE) appuie actuellement les pôles de compétitivité pour l’eau et l’énergie en Afrique, notamment via la formation à travers un projet porté par EDF en partenariat avec l'Agence malienne pour le développement de l'énergie domestique et l'électrification rurale (Amader), le Fonds de développement de l’électrification (FDE) et l’Institut international d'ingénierie de l'eau et de l'environnement (2IE) de Ouagadougou. Il en est de même pour la recherche et le développement que la Facilité énergie ACP-UE finance, ainsi que pour le secteur privé dans l’énergie, avec 420 millions d’euros alloués depuis 2006. Une enveloppe de 75 millions d’euros est également destinée au Fonds global pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique (Geeref). Elle s’ajoute aux contributions des Etats membres.
Désiré Ndemazaoga, expert en eau, secrétaire général de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (Ceeac), réaffirme de son côté le plein soutien de la sous-région par la mise en œuvre du Fonds régional de solidarité pour l’eau, et de son appui pour améliorer l’environnement des affaires. Quant à l’International finance corporation (IFC), membre du groupe Banque mondiale, elle indique que les partenariats publics privés pourraient fonctionner convenablement dans le secteur de l’eau et de l’énergie.
Gros potentiel d’affaires en Afrique
La région Rhône-Alpes, territoire où s’enracinent les actions de l’ADEA, soutient la réalisation de l’opération WecAfrica dont elle espère des retombées significatives pour les entreprises rhônalpines, et en particulier pour celles positionnées sur le segment des énergies solaires. Depuis la baisse du crédit d’impôt développement durable, en 2010, le secteur du photovoltaïque est en effet en difficulté, et des entreprises ont déposé le bilan. A contrario, le continent africain est en plein essor dans le domaine du solaire et prend du reste le leadership avec plusieurs initiatives au Maroc, au Gabon, et au Tchad où un Forum international des énergies renouvelables aura lieu en février 2012, à N’Djamena. De plus, l’environnement des affaires est plus favorable en Afrique. Des exonérations fiscales sur 15 ans sont prévues pour les investisseurs dans le cadre du projet WecAfrica, ainsi qu’un accompagnement pour répondre aux appels d’offre. C’est ce qui explique la présence massive sur le Forum Eurafric Partners de PME et PMI, mais aussi de multinationales de Rhône-Alpes et de l’Hexagone. Schneider Electric, Siemens, Soitec, PAM Saint-Gobain, Groupe Denis, Michaud, Auversun… les partenaires français ne manquent pas ce rendez-vous incontournable qui leur procure de nouveaux contrats.
Pour certaines entreprises, le continent africain représente près du quart de leur chiffre d’affaires. C’est le cas de Conti-Transfo, qui réalise 20% de ses activités en Afrique du Nord et de l’Ouest. « L’Afrique est un marché intéressant que nous fournissons en transformateurs, et où nous envisageons à présent de fournir le savoir-faire pour réparer le matériel en dispensant des formations », confirme Marie-France Charles, Pdg de l’entreprise. Cahors international y est aussi présent et distribue notamment des coffrets pour protéger les compteurs d’eau. Il traite avec les compagnies nationales, comme celle de Mauritanie, ainsi qu’avec celles d’électricité à qui il fournit des solutions pour le comptage de l’énergie. Ses concurrents directs en Afrique subsaharienne sont marocains et libanais, et dans une proportion moindre indiens. Le groupe français consolide néanmoins sa position grâce à une stratégie minutieusement étudiée et bien rodée. Pour cela, il n’a pas hésité à ouvrir une filiale en Inde pour fabriquer des appareils aux normes anglaises, qu’il peut ensuite distribuer en… Afrique de l’Est ! Il est également actif en Algérie où Sonelgaz compte parmi ses plus gros clients.
Ajuster l’offre au pouvoir d’achat
Mais si le secteur de l’eau et de l’énergie en Afrique est rentable pour les entreprises européennes, il n’en demeure pas moins insuffisamment développé pour les usagers. Thierry Befio Namdenganana, directeur général de l’Agence autonome d’électrification rurale de Centrafrique (ACER), confirme que les besoins sont très importants, et que le taux d’accès à l’électricité de plus de la moitié de la population rurale centrafricaine est nettement en deçà des espérances. « Nous cherchons des partenaires dans le cadre des études mais buttons sur des problèmes de financement ». Evelyne Konan, gérante ivoirienne de l’Entreprise de construction de réseaux électriques, d’adduction d’eau et froid (Ecreaf), membre de l’association patronale Tradelec, recherche des fournisseurs et des partenaires qui veulent bien s’installer en Côte d’Ivoire, ainsi que des financements. Au Gabon, des entreprises privées sont contraintes de travailler sur commande sans qu’il ne leur soit envisageable d’obtenir des échéances de paiement sur 90 jours. « Nous ne pouvons approvisionner le marché gabonais et construire un réseau de la source au robinet dans ces conditions », atteste un chef d’entreprise de la chambre patronale gabonaise.
En Guinée, le coût de l’électricité est très cher car produit par des centrales thermiques qui fonctionnent au fuel. On cherche alors à développer l’énergie hydro-électrique sur quelque 114 sites aménageables, et à construire les centrales y afférentes dans ce pays où les grands cours d’eau d’Afrique de l’Ouest (le fleuve Sénégal, la Gambie et le Niger) prennent leur source. Somségmanégo Noël Compaoré, directeur général d’Azimut des compétences génie électrique et bâtiment (Acgeb) au Burkina Faso, constate pour sa part que les installations solaires sont relativement coûteuses, ce que ne dément pas le responsable tchadien du Projet de développement des énergies renouvelables qui déclare : « Nous sommes face à une population à faible pouvoir d’achat alors que les bailleurs de fonds comptent sur la rentabilité ». Au moment où les entreprises européennes marquent le pas faute de croissance sur le Vieux Continent, et que les besoins vitaux en eau et énergie sont de plus en plus criants en Afrique, une plus juste politique de pratique des prix apparaît comme la solution pour régler les problèmes des uns et des autres.