Pour en finir avec les crises alimentaires
Paru dans Les Afriques – 3 mai 2012
L’insécurité alimentaire s’invite une fois de plus à la table des pays du Sahel. Pourtant, la région ne manque pas de ressources agricoles. Elles sont même largement exportées, notamment à destination du Vieux continent.
Sécheresse, vulnérabilité au changement climatique, hausse des prix des denrées alimentaires et du pétrole, insuffisance de l’infrastructure et de la maîtrise des techniques de production, faible productivité des exploitations agricoles, instabilité politique et conflits, démographie galopante… Les maux identifiés comme facteurs déclencheurs de la crise alimentaire dans la zone sahélienne sont légion. La Communauté internationale tente de remédier à cette « pandémie » en distribuant des produits nutritionnels. Le Programme alimentaire mondial orchestre les opérations avec des aliments de supplément prêt à l’emploi, dont Plumpy’Sup, un substitut composé de matière grasse, de sucre, de pâte d’arachide et de produits dérivés du lait. Il est fabriqué par Nutriset, leader mondial dans son domaine.
Depuis des décennies, la prise en charge de la malnutrition incombe donc principalement à l’Occident. « Déjà, dans les années 1980, François Guillaume (alors président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles et ministre de l’Agriculture de 1986 à 1988) engageait les agriculteurs français à produire plus pour nourrir les habitants des pays du tiers-monde », se souvient Isabelle Janin, agricultrice. Pour suppléer le manque, l’Union européenne distribuait ses surplus agricoles, et notamment ses excédents laitiers. Seulement, on ne disait pas à l’époque que pour nourrir les vaches des pays producteurs de lait, on importait du tourteau d’arachide… du Sahel.
Exploitation des ressources
C’est un collectif d’agriculteurs réunis au sein d’une association, le Centre de relations internationales entre agriculteurs pour le développement, qui décèle cette anomalie. Ensemble, ils signent l’ouvrage « Nos excédents laitiers : chance ou danger pour le Tiers-Monde ». On y découvre qu’au plus fort du pic de sécheresse des années 1970, les pays sahéliens – au premier rang duquel le Sénégal – ont exporté des tombereaux de tourteau d’arachide en Europe.
Entre 1971 et 1973, quelque 848 000 tonnes de protéines (équivalant à 991 milliards de calories) a été expédié aux clients européens, tandis qu’en retour, le Sahel a importé 256 000 tonnes de protéines (soit 763 milliards de calories) sous forme de céréales. Un constat sans appel s’impose alors : les pays sahéliens ont exporté 2 à 5 fois plus de protéines durant la sécheresse qu’ils n’en ont importée.
Ainsi donc, une grande partie des cultures d’oléagineux de cette région est destinée aux bovins d’Europe, et une autre quantité pourvoit à la consommation d’huile de table du Vieux continent. Et quand il y a déficit alimentaire, dans les pays de la bande sahélo-saharienne qui ont misé sur les cultures de rente pour s’assurer d’indispensables revenus, on compense, notamment avec de la poudre de lait.
Inverser la tendance
L’aberration d’un tel système interpelle ces agriculteurs français. « Nous nous sommes dits, attention, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond », se souvient Isabelle Janin. A l’issue de ce constat, un échange va s’établir avec leurs pairs du Sahel et leurs témoignages vont bien vite confirmer leur hypothèse. Un technicien agricole du Burkina Faso leur écrit : « Nous faisons des cultures destinées à l’alimentation de vos bétails. C’est le cas des tourteaux d’arachide et des graines de coton. Le résultat, en milieu rural, c’est que nos animaux n’ont rien. Nous avons pourtant besoin de ces produits pour une meilleure production de nos cheptels mais ils sont vendus à des industriels français ». Un Sénégalais précisait à la même époque que l’aide alimentaire ne contribuait pas au développement de structures agricoles, et qu’elle n’encourageait pas à l’essor de la production locale. En outre, comme l’indiquait un Malien, « les paysans du Sahel qui reçoivent ce lait ne sont pas préparés à sa consommation, et cela provoque souvent des diarrhées et des dysenteries ».
Trois décennies plus tard, les cultures de rente pèsent encore lourd dans la balance des économies des pays du Sahel, mais la tendance s’infléchit graduellement en faveur du développement de l’agriculture et de l’élevage pour assurer la sécurité alimentaire des populations locales. Le Niger s’y emploie d’ores et déjà. La révolution verte est à l’œuvre à travers l’initiative « 3N », « Les Nigériens nourrissent les Nigériens ». Pour la période 2011-2016, le gouvernement a prévu d’injecter près de 1 000 milliards de FCFA dans le cadre de « l’I3N ».