El Djazaïr : Alger la Blanche
Elle apparaît, soudain,
Nimbée des voiles opalescents qui nappent sa baie,
La blanche capitale,
Telle une sultane
dont les paupières cilleraient
sous l’éclat d’un bleu trop capiteux…
Luxuriante à l’envi, elle offre ses jardins tout en rondeurs gorgés de couleurs à des passants alanguis par tant de chaleur, qui viennent savourer là quelques instants de fraîche quiétude à l’ombre de frémissantes palmes.
Palpitante ville dont le cœur tressaille à chaque
ressac de la mer buttant contre ses anfractuosités… Généreuse en même temps qu’évanescente amoureuse d’une vie qu’elle passe languissante à contempler des ciels aux astres cristallins et dont les
reflets changeants plongent et se noient dans les profondeurs abyssales de ses eaux enfin apaisées…
Dans la moiteur des jours sans fin, quand le soleil s’étire à l’infini et n’en finit plus de rosir des nuages qui s’effilochent, palpite alors le cœur frémissant de la belle et ténébreuse cité. Sourde la clameur feutrée du peuple d’Alger puis s’élèvent les zagharit de quelques gorges féminines, invitées d’une mariée à la veille de sa noce, avant que ne s’évanouissent à regret les dernières modulations de ces vivats.
Mais que l’on ne s’y trompe point… Sous ses airs d’indolente rêveuse, la mystérieuse cité recèle des trésors dont elle ne décèle le secret qu’aux esprits sincères que son cœur aura élu. Dans le dédale des boulevards et des venelles qui se fraient un passage au sommet de cette imprenable citadelle, elle protège en effet jalousement du regard inquisiteur son intimité derrière des façades en trompe-l’œil, des portes dérobées, des persiennes, et d’interminables escaliers savamment alambiqués. Et nul ne pourrait s’y aventurer sans risquer d’en perdre l’usage de son latin… Facétieuse comme elle est, elle pourrait faire virevolter l’étranger au gré de ses humeurs et lui faire tourner la tête. Ainsi donc faudra-t-il attendre imperturbablement et patiemment le guide suprême, celui qui voudra bien initier et révéler quelques-unes des discrètes coquetteries de cette ville au long cours, quelques-uns de ces récits dont l’histoire d’Alger toute en aspérités et en douceurs, en pleins et en déliés, regorge…
Alors s’entrouvrira pudiquement l’écrin, et, l’espace d’un instant, se dépliera délicatement la carte de visite d’El-Djazaïr, fière capitale de l’Algérie…
Jadis, elle s’appelait « Eikosi ». Puis devint « Ikosim », avant que « Icosium » ne lui damne le pion. En 371, elle fut détruite par les Vandales et durant cinq siècles, sombra dans l’oubli. En 950, le prince berbère Bologuine Ibnou Ziri Ibnou Menad Essenhadji refonda la cité, qui devint alors « El Djazaïr ». Au fil du temps, elle sera successivement Alguezira, Algiers, Alguer, puis Alger. Au XVIe siècle, la reconquête de l’Espagne vaudra aux Andalous de se réfugier à Alger, qui sera, dès lors, promise à un bel essor. Mais cela suscitera le courroux des monarques espagnols qui occuperont Mers-El-Kebir, puis Oran, Bougie et enfin Alger. Ils installeront en 1510 leur position sur l’un des îlots face à la ville capitale. Pour se défausser de l’occupant, les notables de la ville feront appel à deux corsaires turcs dont la réputation faisait trembler les Espagnols. Aroudj puis Khair-Eddine dirigeront donc leurs attaques contre la forteresse espagnole. En vain. L’ennemi s’imposera. Il faudra alors le secours de la Sublime Porte et l’établissement de la suzeraineté ottomane pour avoir raison des Espagnols. En 1519, la régence d’Alger était née. Khair-Eddine en prit le commandement. Et durant trois siècles, Alger sera alternativement administrée par des pachas, des deys et des aghas. Pourtant, en 1827, s’ourdira le « Coup de l’éventail », qui servira de prétexte à l’invasion de la France, trois ans plus tard. Lors, le dernier dey d’Alger capitulera quelques jours seulement après le débarquement à Sidi Ferruch de l’armée de Charles X.
Exit les invasions barbares. Alger est désormais souveraine sur ses terres.
Et les Algérois investissent l’espace, déambulant nonchalamment au beau milieu des boulevards,
sans même s’attirer les foudres des conducteurs...
« Aujourd’hui, Alger est une ville charmante qu’on ne peut se lasser
d’admirer
et dont l’aspect enchante l’imagination.
Assise au bord de la mer sur le penchant d’une montagne,
elle jouit de tous les avantages qui résultent de cette position
exceptionnelle. »
Office National du Tourisme
Coupoles ornementées de vitraux délicatement ourlés de nacre
Faïences arabesquées…
Saisissantes colonnes s’élançant à la conquête de plafonds finement sculptés et marquetés
Murs et arcades aux découpes dentelées…
Tout est prétexte à la beauté et à la majesté
En ces lieux qui attestent de la prégnance de l’héritage légué
Par les dynasties arabo-amazighes autant qu’ottomanes.
Empreintes laissées par feu l’Andalousie,
Réminiscences de ces premiers temps de l’Islam
Lorsque se diffusa son esprit autant que son art.
Aujourd’hui encore l’architecture témoigne de la force de cette culture
Et de son aura qui a traversé les siècles…
…Et a résisté aux assauts du temps autant que du fer et du feu.
Alger entrouvre ses armoiries et expose sa magnificence.
Instants de grâce où l’âme s’élève vers l’infiniment beau.